Photographe, essayiste, éditorialiste (Les Lettres françaises) et poète, Franck Delorieux est l’auteur de Roger Vailland, libertinage et lutte des classes (Le Temps des Cerises, 2008), de Les Saisons (poèmes, Gallimard, 2017) et d’un roman, Ils (Le Temps des Cerises, coll. « Les Lettres françaises »).
Il a publié dernièrement Quercus suivi de Le séminaire des nuits aux éditions Gallimard, et aux éditions Helvétius Regards sur La Havane = Miradas a La Habana, un ouvrage de photographie (introduction, entretien et traduction des textes en espagnol de Marc Sagaert).
« Quercus est le mot latin pour désigner le chêne ; l’auteur, qui dit avoir vécu, enfant, entouré, de chênes, se lance ici, après Virgile et accompagné de Gianni Burattoni et de ses dessins, dans une série de bucoliques. C’est un chant de vie exalté, une déclaration de panthéisme athée assez rare dans la poésie contemporaine. Le séminaire des nuits est une plongée dans le monde fantasmatique de la nuit, avec ses frayeurs enfantines et ses dérives adultes, sa mélancolie et la solitude. Le côté varoque, la tonalité et la maîtrise de cette poésie sont les marques de cet auteur. »
Franck Delorieux est poète. Franck Delorieux est photographe. La sève en son jardin est l´encre de plusieurs bois. Sur les papiers soyeux et lisses comme la peau d´un vélin, à Ingres et à Arches, la photographie se révèle et l´œuvre s´écrit, elles ancrent leur gai savoir. Se rebellent.
À La Havane, les pas du photographe s´animent, tout au bonheur de leur avancée. Le chemin est la direction de ses pas et de ses yeux. Et l´œil captivé se pose. Il s´abîme dans la ligne de fuite des colonnes, les jeux d´architecture des grands édifices et des maisons. Au long de la jetée, d´un callejón ou sur une place, d´instinct le parcours fait halte, trouve le mur, un parapet où accoster. Pour faire compagnie au silence et à sa ligne d´horizon. L´œil, dirait Silvia Baron Supervielle, obéit au désir de la révélation.
À La Havane, la photographie est de noirs et de blancs tissés. Elle est l´alpha et l´oméga. Le vent, l´orage, et le roulis des flots. Ecume, fines broderies de l´espace et du temps, elle chante en gouttes d´eau. Houle, allegros de la houle, elle donne libre cours à sa joie. De toute la fureur de ses scherzos, elle tonne. Aux contrepoints du souffle, elle frissonne, de toutes les harmoniques de son noir stylo. Faisant fi de la pluie, l´homme chemine, poursuit sa marche jusqu´au Castillo del Morro, jusqu´à l´entrée de la baie, jusqu´à la Cabaña, le long de la jetée.
Grignoté par le salpêtre, outragé par les vagues, le Malecón se moque, l’avenue Maceo s´en moque. Ils font front. Et l´eau bondit soudain, froide, cotonneuse et chargée d´alluvions. Elle enveloppe le rire des adolescents, le tremblement frileux des enfants et leurs jeux, jusqu´à l´épuisement. Les lames jaillissantes les couvrent et les recouvrent. A les faire disparaitre, et naitre de nouveau. Les nuages font leur pelote dans ce ciel couché tendrement sur la mer.
La palette du photographe semble infinie. Les noirs assurément y tiennent une large place, jouent ici l´essentiel de leur partition de lumière, inséparable de son rythme et de sa vénusté. Matière, elle est charbon, fusain, carbone, basalte et autre bois de l´ébénier. Comme sur les toiles du grand peintre, les noirs font autorité. Ils évoquent la terre, l’air, le feu et l’eau. Ils s’illuminent, orchestrent les paysages, découpent les figures et font jaillir par contraste la poésie des lieux.
Le blanc se fait discret. Les gris se chamaillent l’intensité, ils s’emportent parfois jusqu´à l´obscurité et permettent au regard de se perdre…
Marc Sagaert
(Extrait du texte de l’ouvrage)